vendredi 8 février 2008

La nuit ne porte pas toujours conseil

Vous n'y couperez pas, voici un autre texte, pour ceux qui en redemandent.

Donc voici la bête:

La nuit ne porte pas toujours conseil:

N’avez-vous jamais eu l’impression que les fêtes de fin d’années n’existaient que dans l’unique but de déprimer tous ceux qui n’ont pas les moyens de la fêter ? Je sais bien que c’est faux et que les fêtes de fin d’année avaient à la base un but honorable: développer le commerce des chocolats et relancer la production de tonnes de jouets inutiles et impossibles à recycler. Tous les ans, dès le début novembre, impossible d’échapper au mythe de la fête familiale conviviale où les enfants déballent sagement leurs cadeaux en sautant de joie, se blottissant dans les bras des parents qui échangent des regards lourds de sous-entendus parce que papa a offert à maman une (très) jolie et (très) petite chemise de nuit en (très) petite dentelle que papa se fera une joie de lui retirer, une fois les enfants couchés. Les sapins fraichement décimés sèment leurs épines dans les galeries commerciales, les magasins de jouets remplissent les boîtes aux lettres de catalogues de papiers glacés imprimés made in forêt amazonienne, enfin le peu qu’il en reste. Des néons poussent entre les réverbères, utilisant l’électricité nécessaire pour illuminer la ville pendant un mois ; des guirlandes fleurissent sur des arbres qui n’ont rien demandé à personne ; les populations devenues hystériques se ruent dans les artères commerciales à la recherche DU cadeau qui fera le bonheur de Tata Marcelle. Je crois que le monde devient fou chaque année, cycliquement, un peu comme les suicides collectifs des lemmings tous les seize ans et quelques.

L’obligation sociale de trouver des présents à offrir à mes proches me plonge dans un embarras peu compréhensible par le commun des mortels qui, lui, n’a pas de crises d’angoisse dans les grands magasins. En effet, je souffre d’une phobie qui déclenche la compassion terrifiée de mes connaissances modeuses : faire mes courses à Carrefour me donne des sueurs froides, aller à H&M me flanque la nausée. Alors me coltiner les galeries Lafayette pendant la ruée des fêtes est au-dessus de mes forces. Je revis depuis l’invention d’e-bay. Ca me conforte dans l’idée que j’ai toujours eu, que seuls les asociaux et les fainéants font avancer le progrès. En effet, la roue, par exemple, n’a pu être inventée que par une feignasse pas tentée qui en avait assez de se coltiner sur le dos les cinquante kilos de bois quotidien pour le feu. Heureusement cette année je n’aurais pas le problème de la carence financière. Effectivement, puisque ma thèse de lettre moderne ne paye pas vraiment et que mon réfrigérateur n’est pas équipé de la fonction « auto-remplissage », je travaille à mi-temps comme accessoiriste, costumière et assistante dans divers films. Officiellement il s’agit de films sur les techniques de thermo- formation de la silicone, destinés à la formation des ouvriers. Cette version est essentiellement destinée à ma mère et ses proches. En fait, il s’agirait plutôt d’un film sur les limites toujours repoussées de l’élasticité du corps humain dans diverses positions, à destination d’une population certifiant être majeure quoique pas encore totalement pubère.

Un boulot comme un autre me suis-je dit en l’acceptant. Je tente de m’en convaincre chaque jour depuis. Même si je travaille dans ce milieu depuis bientôt huit mois, je ne peux m’empêcher de rougir au moment de pousser la porte de l’établissement où l’on me charge d’acheter les accessoires. Au-dessus de la porte, une enseigne lumineuse clame : « Chez Véro, le meilleur du porno ». Allez, je relativise, inspire un grand coup et passe le rideau de velours bordeaux. La taulière est sympa, elle vient me faire la bise.

- « Salut mon petit lot, qu’est-ce qui te faudrait aujourd’hui ?

- Je viens de la part de Chris, il t’embrasse.

- Tu lui feras un bisou de ma part. C’est quoi ce film ?

- « Robin Wood, prince des violeurs ».

- Oh ! C’est original ça ! Il nous la manquait, celle-là.

- Original oui, mais bon, après c’est moi qui doit trouver les costumes !

- Ca doit pas être trop compliqué à trouver dans un magasin de déguisement.

- Ah non ! Je trouve, mais les pantalons sont sans braguette pour la plupart.

- Ah, c’est sûr, sans braguette, on peut rien faire. Qu’est ce qui te faut?

- Il me faut un nouveau pénétrator 32, le dernier a rendu l’âme hier, il s’est carrément fendu en deux. Met-moi aussi deux vibro, ceux-là, met m’en un bleu et un vert. Tu n’aurais pas une troisième couleur ?

- Rose avec des paillettes.

- Non, il me faut une couleur qui tranche avec la chair, sinon ça ne passe pas à la caméra. Et il me faudra aussi une demi-douzaine de cagoules en latex, on a fait les repérages avec des bas, mais les acteurs ont du mal à respirer avec. En plus, ce n’est pas très esthétique et ça file vite.

- Dommage c’est plus réaliste.

- N’est ce pas ? A propos de bas, tu me mettras douze paires de bas noirs, six paires de blancs et six paires de rouges.

- En blancs, j’ai que des bas d’infirmière avec une petite croix rouge, ça ira ?

- Non, il me faut des blancs immaculés. Tu peux me les commander ?

- Pas de problème, tu les auras jeudi. Six paires, c’est ça ?

- Mes-en huit alors, en cas de casse. Et il me faudra dix tubes du lubrifiant habituel.

- Seulement dix ?

- Je reviens jeudi, je t’en reprendrais. »

Je repars avec ma facture en poche et mon sac de course plein de gadgets susceptibles de provoquer une monstrueuse érection chez le moindre sujet mâle. Retour au studio de tournage. Dans le hall je croise Priscilla, de son vrai nom Monique, avec le nez si irrité que ses narines saignent par endroit. La malheureuse a contracté le rhume du siècle. Je m’enquiers de sa santé, en imaginant déjà le calvaire lorsqu’elle devra étaler du fond de teint correcteur sur ses crevasses à vif pour les camoufler. Dire qu’elle est un fantasme vivant pour tous ses fans, convaincu qu’elle « respire le sexe et pue le stupre ». Faux : au naturel elle ne sent que l’Air du temps et ne respire que l’air ambiant, avec un peu de difficulté à cause de son nez bouché. Elle est secrétaire médicale dans le civil, les tournages servent à arrondir ses fins de mois. Elle est plutôt sympathique, un peu timide et demande toujours à partir avant quatre heures pour aller chercher son fils à l’école.

Arrivée dans le placard à balai qui sert de vestiaire et d’entrepôt pour accessoires, je fais bouillir de l’eau et dispose tous les gadgets en silicone dans une bassine métallique. Deux minutes sur le feu dans l’eau bouillante et ils sont comme neufs. Je nettoie les harnais au savon antiseptique puis les fait sécher sur le fil à linge au-dessus de l’évier. Il est presque treize heures, ce sera la pause déjeuner dans quelques minutes, je fais un gigantesque milk-shake à la fraise pour tout le monde. J’aime bien le moment du déjeuner, les actrices maquillées comme des voitures volées sortant de la douche et mangeant en peignoir, les bavardages entre eux. Ca me fascine toujours de voir cet absence de gêne entre eux, comme si ils avaient juste fait de la comptabilité ou rendu un dossier ensemble. J’ai du mal à comprendre.

Un jour une des actrices m’a confié que la pause déjeuner est loin d’être une habitude sur les plateaux de tournage de film de genre. La plupart du temps les acteurs enchainent les heures sans même une pause-cigarette et certains plateaux de tournage n’ont même pas de douche. Elle a l’air si contente à l’idée de travailler pour un philanthrope que je ne lui dit pas que ces largesses ont pour seul but d’améliorer les cadences, donc, de gagner du temps. Mais au final chacun y trouve son compte. Les uns des bénéfices, les autres un boulot.

Je relativise beaucoup sur le plateau. Je n’ai pas le choix d’ailleurs. Un peu comme les thanatopracteurs ou les médecins légistes, je finis par tout prendre au second degré, avec un humour cynique dont j’ai toujours été dotée, mais qui s’améliore (ou s’aggrave, selon le point de vue) chaque jour d’avantage. Il est vrai que ma misanthropie, elle, ne s’améliore pas. Ma névrose non plus d’ailleurs. La première fois que j’ai pris rendez-vous chez mon psy, il m’a fallu quatre coups de fil que j’ai interrompu brutalement avant d’arriver à une date. Lors de la première séance, je n’ai réussi qu’à bafouiller des banalités. Il m’a redonné rendez-vous la semaine suivante. Deux mois plus tard, quand j’ai enfin réussit à lui dire la nature de mon problème, il a attendu la fin de la séance pour me féliciter : avec mes neuf séances de résistance, j’avais battu le record établi à six séances par un de ses patients. Le malheureux praticien ignorait alors qu’il n’était qu’au tout début de ses surprises.

Il fait nuit lorsque je quitte les bâtiments où je gagne ma baguette à la sueur de mon front. En sortant du tramway je m’arrête au camion pour prendre une part de pizza, il faudra que j’aille faire les courses demain. Sous mes doigts l’emballage s’auréole d’huile rosée par la tomate. De toute façon les lipides se contentent de traverser mon corps trop maigre. Je passe devant le square, les toboggans luisent sous les réverbères comme d’étranges animaux solitaires. Sur les pelouses désertées par les enfants les merles cherchent les relents des gouters. Le clochard du quartier somnole sur un banc, son chien vient me faire la fête, attiré par l’odeur de ma pizza. Je dépose ma part au pied de son maître et reprend le chemin de mon appartement. Je n’aurai qu’à me faire des pâtes au beurre. Non, je n’ai plus de beurre ! De l’huile d’olive ? Je n’en ai jamais racheté. Tant pis, je mangerai un yaourt. Je regrette un peu mon geste impulsif.

Les balançoires du square tanguent doucement au bout de leurs chaînes. La rouille des arceaux les fait grincer sinistrement. Les arbres aux branches nues sont lugubres. Je frémis en longeant les grilles sales sous la lumière anémique des réverbères. La lune laisse une empreinte blafarde sous le voile nuageux. Arrivée dans le hall de l’immeuble j’entends le sifflement sourd du vent dans la cheminée du chauffage central. Je me crispe en passant à coté de la fenêtre où bougent des ombres. Quelqu’un me suit, il me semble entendre des pas. Une ampoule cassée depuis plusieurs semaines laisse un coin d’obscurité au début de l’escalier, je suis certaine que ça c’est tapie là et que ça m’attends. Je sens la terreur m’étreindre la gorge. Je tente de déglutir mais la salive reste coincée dans ma bouche. Impossible de passer. Je sais que je vais mourir. Je voudrais crier mais rien ne sort. Je sens le souffle me manquer, j’ai peur de tourner de l’œil, la chose cachée dans l’ombre ne bouge pas. Je me colle contre le mur du couloir, mes jambes vont me lâcher. Tout à coup une porte s’ouvre à l’étage, une silhouette se penche au-dessus de la rambarde, je ne vois pas son visage à cause du contre-jour.

-« C’est toi, ma puce ? demande mon amoureux, tout inquiet. Je t’attendais, je savais que tu aurais peur du noir. »

Et il est descendu me chercher avec une lampe torche.

vendredi 1 février 2008

Autant pour moi

Drôle d'expression que ce "autant pour moi". Depuis des années que le débat orthographique fait rage entre les adeptes du "au temps pour moi" et ceux qui ne jurent que par le "autant pour moi", il semblerait que les hautes instances de la linguistique et rhétorique se soient accordées sur "au temps pour moi", tout en considérant qu'"autant pour moi" n'est pas réellement une faute.
En bref, je ne l'écris pas comme il le faudrait mais tout le monde s'en tamponne le coquillard (au rythme du french cancan).

Ce qui est interressant, au-delà de l'orthodoxie orthographique, c'est l'étymologie de cette jolie expression dont je me délecte à chaque fois. J'imaginais une jolie explication musicale, une histoire de musiciens demandant au chef d'orchestre de reprendre "au temps, pour moi" en cas d'erreur. Mais ma version, bien éminemment poétique est inexacte. Il s'agirait en réalité d'un terme militaire indiquant la reprise d'une maneuvre suite à une erreur. Autant pour moi serait alors une vulgarisation, une quelconque faute de français, en quelque sorte.
Je fais donc partie de ces hordes errantes de pignoufs qui souillent lamentablement notre belle langue maternelle! Si je ne me retenais pas, je me giflerais! Ou pas, il ne faut tout de même pas exagérer...

Enfin, tout cela pour en arriver là où je devrais déjà être depuis un bout de temps (tant?): à mon texte, que je dois soumettre au jugement de mes, ô combien nombreux, lecteurs assidus. (oui, comme dirait ma mère: je m'offre des fleurs, puisque personne ne le fait!).


Chose promise, chose due, voici "Autant pour moi":

Je suis adossée au mur, les pieds crispés sur le sol. Dans son coin la télévision diffuse une lueur verdâtre. Depuis que Samy a joué avec les boutons de la télécommande les couleurs sont toutes déréglées. Dans la petite fenêtre médiatique le monde est devenu vert, vert sapin, vert amande, vert canard, vert olive. Les acteurs semblent malades comme des chiens, je m’attends à tout moment à les voir gémir en se tenant le ventre et courir vers les toilettes du plateau. Mais ils ne le font jamais, ils ne sont pas réellement pris de diarrhée. Alors qu’apparaît le logo annonçant les publicités Rudy, le plus grand de mes frères, daigne me remarquer.

- « Hé Minette, qu’es-tu fous là ?

- J’attends.

- T’attends quoi ?

- Rien.

- N’importe quoi, cette gosse ; t’as rien à attendre de toute façon. Viens regarder le jeu avec nous.»

Rudy n’a pas tort, c’est un peu n’importe quoi. Je ne sais pas exactement pourquoi, ni ce que j’attends, mais je ne peux croire que ça sera toujours ainsi, toujours le même endroit, le même ciel implacable, la même maison au crépi passé, la même mer gris froid et les mêmes gens. Un jour, tout cela changera, je le sais, je le sens. Alors j’attends. J’attends depuis longtemps. J’attends depuis tant de temps que je tends à désespérer. Mais je n’ai rien d’autre à faire.

Pour passer le temps, je sors me promener. Les vacances durent depuis une éternité, j’ai tellement envie de retourner au collège, au moins je peux lire tous les livres que je veux, je peux poser plein de questions à mes professeurs qui me répondent en souriant. Parfois même ils ne savent pas répondre et nous cherchons ensemble dans un gros dictionnaire à la couverture délavée. J’aime beaucoup mes professeurs, surtout celle de français. Mes frères se moquent de moi quand je lis pendant la récréation. Ils disent que de toute façon je n’ai pas besoin de livres pour faire le ménage au club de tourisme. Comme ma mère. Il ne viendrait à l’idée de personne que je puisse vouloir autre chose. D’ailleurs pourquoi autre chose ? Et quoi d’autre ? Elle te suffit pas cette vie là ? Ne te prends pas pour ce que tu n’es pas. Tu travailleras au club, comme tout le monde.

Je marche vers la mer. Une petite bise cinglante me gifle le visage. Il fait froid. Je m’enfonce dans la boue du chemin, des herbes percent au milieu de la terre battue, il y a bien longtemps qu’aucune voiture n’est passée ici. Les joncs plient sous le vent, le sable vole et me pique les yeux. La mer me fait le gros dos. Ce n’est pas l’onde pure décrite par les poètes, ce n’est pas la colère furieuse des éléments déchaînés, ce n’est qu’une masse d’eau grise et triste qui bat la plage inlassablement, sans but et sans raison. J’aperçois le club touristique au loin, masse de béton mal dégrossi déserté en cette saison. Les touristes qui viennent ici ne sont pas beaucoup plus riches que nous, ils viennent s’entasser sur la plage entourant les bâtiments, incapables d’aller chercher un meilleur coin quelques kilomètres plus loin. Je trouve cela idiot. Et je n’ai aucune envie de travailler pour des idiots. Le sable me colle aux pieds, je marche lentement. Un groupe de gamins joue sur le ponton, ils tentent d’attraper à l’épuisette des poissons qu’il n’y a pas dans ces eaux saumâtres et polluées. Ils ne remontent que des algues mais ne renoncent pas, persuadés de leur possible réussite. Je leur sourie tout en me disant que cette mer-là n’a décidément rien à nous offrir.

Les nuages s’opacifient petit à petit, le soir tombe. Il doit être six heures, il va falloir que je rentre. Je revoie ma mère annoncer royalement : « ce soir, on fait des frites » et mes frères ont applaudi, tout heureux, sans se dire que ce serait ces saloperies de frites surgelées, à la texture sableuse et au goût inexistant. Et sans se dire que c’était juste économique, une promotion de fin de mois sur ces horribles tubercules déshydratés. Ils applaudissent et ils sifflent de joie. Ce sont de grands types qui sifflent les bonnes nouvelles et les filles dans la rue. Et elles, au lieu de les ignorer ou de les fusiller du regard, elles gloussent bêtement entre elles. De temps en temps ils arrivent à en convaincre une de venir les rejoindre dans les dunes et il y a du sable dans leurs vêtements le lendemain matin. Souvent ils me mettent à la porte et regardent des cassettes entre eux sur le magnétoscope, des cassettes où les filles ne sont pas très habillées. La fois où ma mère en a trouvé une dans leur chambre elle a crié que c’était dégueulasse et que j’aurais pu tomber dessus. Sammy a répondu qu’il fallait bien que je sache un jour à quoi m’attendre. Elle a hurlé et jeté toutes les cassettes. Depuis, ils les cachent chez mon plus jeune frère qui est encore trop jeune pour attirer les soupons.

Je sais que nous n’avons pas le même père mais à ma connaissance il n’y a que Samy et Rudy qui aient le même père dans la fratrie. Peut-être est-ce parce que je suis la seule fille, mais j’ai souvent l’impression de ne rien avoir en commun avec eux, pas plus qu’avec ma mère. Ma mère est une fausse blonde platine avec huit centimètres de racines mélanisées, les ongles vernis de rouge écaillé, portant des jeans trop serrés et des tee-shirts trop moulants pour son age et ses cinq enfants. Elle parle fort, avec un accent très marqué qui m’écorche les oreilles. Je dois tenir de mon père, je ne sais pas, je ne le connais pas. Mais il me semble impossible qu’il en soit différemment.

Je longe la route des Sablines, il ne passe aucune voiture. L’immeuble apparaît petit à petit, cube peint en vieux jaune crasseux au milieu du gris et du vert. Je me suis toujours demandé qui avait été assez fou pour construire ces trois HLM en pleine campagne. Le village le plus proche est à une trentaine de kilomètres, la seule proximité est le club. Je ne comprends pas comment une telle monstruosité a pu voir le jour. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours attendu le moment béni où je m’en irai de cet enfer balnéaire. Définitivement.

Derrière la porte d’entrée j’entends les voix de mes frères et le rire gras de ma mère. Au loin résonne le cri des mouettes en écho. J’enlève le sable de mes chaussures et avant de rentrer, je prends une grande bouffée d’air, comme avant une longue apnée. Mes frères et ma mère sont tous rassemblés autour de la table de la cuisine, l’air est brulant et empeste la friture. Ma mère est de bonne humeur, elle chante faux et fort, en roulant des hanches devant ses fourneaux.

- « Ben qu’est t’as foutu Minette, tu rentres super tard ?

- Je suis allée me balader.

- Putain, t’en as perdu un temps ! »

J’avais, quand à moi, plutôt l’impression d’en avoir gagné. Autant pour moi.